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Selon de nouvelles recherches, les banques ont accordé plus de 150 milliards de dollars de crédit à des sociétés potentiellement impliquées dans la déforestation depuis l’Accord de Paris

Tandis que les incendies ravagent les forêts tropicales du monde entier, une base de données révèle pour la première fois l’ampleur des financements des sociétés productrices de marchandises potentiellement impliquées dans la déforestation

San Francisco/Jakarta/Amsterdam/Tokyo/São Paulo — Alors que la saison d’incendies actuelle s’annonce plus destructrice pour les forêts tropicales que celle de 2019, une nouvelle base de données révèle que plusieurs banques mondiales ont financé la production et le commerce de marchandises à l’origine de la déforestation et de la dégradation des terres dans les trois principaux bassins forestiers tropicaux du monde : l’Asie du Sud-Est, le Brésil et l’Afrique de l’Ouest et centrale. Sous la forme de prêts et de prises fermes, les banques ont accordé 154 milliards de dollars de crédit depuis 2015. Le montant total des crédits a augmenté de 40 % depuis la signature de l’Accord de Paris en décembre 2015. De plus, en avril 2020, les investisseurs détenaient 37 milliards de dollars en actions et obligations au sein des sociétés qui produisent ces marchandises.

Avec 30 milliards de dollars de crédit accordés à des sociétés productrices de marchandises potentiellement impliquées dans la déforestation depuis 2016, Banco do Brasil est le premier créancier tous secteurs confondus. La quasi-totalité de cette somme a financé des sociétés présentes au Brésil qui opèrent dans  les secteurs du bœuf, du soja, de la pâte à papier et du papier. Au classement des cinq premiers créanciers mondiaux, viennent ensuite la banque brésilienne Bradesco, avec 7,5 milliards de dollars, la banque néerlandaise Rabobank, avec 6,3 milliards de dollars, l’Étatsunien JPMorgan Chase, avec 5,8 milliards de dollars, et la banque japonaise Mizuho, avec 5,5 milliards de dollars.

Depuis 2016, en Afrique de l’Ouest et centrale, les principaux créanciers des sociétés potentiellement impliquées dans la déforestation sont originaires de Chine. Ainsi, les premiers financeurs sont CITIC, avec 519 millions de dollars de crédit accordés, la Bank of Ningbo, avec 335 millions de dollars, la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC), avec 312 millions de dollars, et la Agricultural Bank of China, avec 203 millions de dollars. Avec 216 millions de dollars de crédit accordés, la banque singapourienne DBS est également un créancier majeur dans cette région. Par ailleurs, près de 90 % du crédit total accordé en Afrique de l’Ouest et centrale ont financé les secteurs du bois d’œuvre et du caoutchouc.

Lancée par Forests and Finance — une initiative de la coalition Forests and Finance notamment composée de Rainforest Action Network (RAN), TuK INDONESIA, Profundo, Reporter Brasil, Amazon Watch et BankTrack — cette base de données met en lumière les flux financiers entre janvier 2013 et avril 2020 qui ont profité à plus de 300 grandes sociétés productrices de marchandises potentiellement impliquées dans la déforestation et dont les activités ont des conséquences sur les forêts en Asie du Sud-Est, Afrique de l’Ouest et centrale et au Brésil.

Malgré les engagements multilatéraux et du secteur pour mettre un terme à la déforestation, la perte de couverture forestière tropicale a presque doublé au cours des 10 dernières années. Les forêts sont avant tout rasées pour servir les intérêts de l’industrie agroalimentaire. La déforestation se passe souvent dans l’illégalité et en lien étroit avec des cas de corruption, de fraude fiscale et le crime organisé. Parmi les marchandises « potentiellement impliquées dans la déforestation », on trouve le bœuf, l’huile de palme, la pâte à papier et le papier, le caoutchouc, le soja et le bois d’œuvre. En 2019 seulement, 11,9 millions d’hectares de forêts tropicales ont disparu. À noter que selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement, la déforestation et la destruction des habitats naturels que cela implique sont un facteur important de l’émergence de zoonoses telles que la COVID-19. Les sociétés responsables de la déforestation ont besoin de crédit et d’investissement pour se développer et mener à bien leurs opérations courantes.

« À l’heure actuelle, des incendies criminels et prémédités détruisent les dernières forêts tropicales du monde entier. Le feu est utilisé comme un moyen “économique” de défricher des terres pour produire des marchandises. Les banques et les investisseurs mondiaux financent les géants de l’industrie agroalimentaire qui allument ces incendies en toute connaissance de cause », déclare Merel van der Mark, coordinatrice de la coalition Forests and Finance. « Malgré les engagements des acteurs du monde de la finance envers les Objectifs de développement durable et l’Accord de Paris, leur course aux profits nous conduit tout droit vers une catastrophe climatique et sanitaire. »

Depuis la signature de l’Accord de Paris sur le climat, un petit groupe de 15 banques [1] est à l’origine d’environ 60% des 154 milliards de dollars de crédit accordés aux sociétés potentiellement impliquées dans la déforestation. Huit d’entre elles sont signataires des Principes pour une banque responsable de l’ONU. Ces principes prévoient notamment d’aligner les activités des banques sur l’Accord de Paris et les Objectifs de développement durable (ODD), parmi lesquels l’ODD 15 qui a pour cible de « mettre un terme à la déforestation » et de « restaurer les forêts dégradées » d’ici à 2020. Concernant le point de départ des financements, les banques du Brésil, de Chine, d’Indonésie, de Malaisie, des États-Unis et du Japon sont à l’origine des principaux flux financiers. Ces observations illustrent le manque de règlementations et de politiques adéquates au sein des sociétés pour aligner les objectifs du secteur de la finance sur les priorités mondiales environnementales et sociales.

« Les banques et les investisseurs qui prêtent de l’argent en Indonésie ferment les yeux sur la déforestation, la destruction des tourbières et les violations des droits humains incessantes de leurs clients. Et pas un mot sur les conséquences dramatiques de leurs financements. Pendant ce temps, les sociétés responsables du nuage de pollution mortel continuent d’obtenir des milliards de dollars de financement et ne subissent quasiment aucun contrôle. C’est inacceptable, on ne peut pas continuer ainsi », indique Edi Sutrisno, TuK INDONESIA.

« Les peuples autochtones d’Amazonie subissent une saison d’incendies catastrophique, qui s’ajoute malheureusement aux ravages de la pandémie de COVID-19 », déclare Christian Poirier d’Amazon Watch. « Les incendies qui détruisent l’Amazonie au Brésil sont au plus haut depuis 10 ans, et on enregistre une augmentation de 77 % des incendies sur les territoires autochtones depuis l’année dernière. Ces pics sont le résultat de la déforestation et des incendies criminels liés à la production de marchandises et financés par les plus grands groupes financiers du monde. À ces banques et investisseurs mondiaux : cette base de données montre clairement votre complicité dans cette catastrophe. »

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